ce n’est pas tous les jours qu’une émission de télévision est réalisée dans le but de dénoncer les dangers… de la télévision.
en l’occurence, le documentaire réalisé par Christophe Nick, avec la complicité de France 2 et d’une équipe de psychologues, a fichu un sacré coup de pied dans la fourmillière de la "télé-réalité" et de la télé-poubelle. la question est: "jusqu’où peut aller la télé?"
en questions subsidiaires: "jusqu’où peut aller un participant à une émission de ce type?" et "que recherche le public?" .
1: la télé peut aller où elle veut.
2: ici, 81% des participants sont allés au bout.
3: le public est le peuple. il veut du pain et des jeux. *pouce renversé!*
pour ceux qui seraient passés à côté de ce buzz médiatique qui fait parler de lui depuis plusieurs semaines, et qui auraient raté la diffusion de l’émission sur F2 hier soir, il s’agit de ce jeu-expérience-concept du "jeu de la mort" (baptisé "la zone extrême" pour les participants), et inspiré de l’expérience de Milgram, dans les années 1960.
cette expérience consistait à évaluer le degré d’obéissance d’un individu devant une autorité qu’il juge légitime et à analyser le processus de soumission à cette autorité. en l’occurence, l’autorité consistait en un scientifique, qui faisait croire à un cobaye qu’il menait une expérience sur l’apprentissage. ce cobaye, appelé "l’enseignant", devait faire mémoriser des listes de mots à une autre personne ("l’apprenant"). en cas de mauvaise réponse de l’apprenant, le cobaye devait lui infliger une décharge électrique, et cette décharge augmentait à chaque nouvelle réponse, ou en cas de non-réponse.
les décharges étaient factices, et "l’apprenant", qui était en réalité un acteur, simulait les chocs électriques (non, il ne savait pas imiter les éclairs…). l’acteur commençait par gémir un peu, puis fort, puis se plaignait fortement et finissait par crier qu’il ne voulait plus continuer et ne donnerait plus de réponse, tout en protestant et en pleurant qu’il voulait qu’on le libère.
le résultat de l’expérience était édifiant: 62.5% des cobayes infligeaient à "l’apprenant" la peine maximale!
la plupart tentaient bien (mais pas trop fort) de faire arrêter l’expérience, mais devant de simples incartades de la part de l’autorité, avec dans l’ordre:
- « Veuillez continuer s’il vous plaît. »
- « L’expérience exige que vous continuiez. »
- « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »
- « Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer. »
le cobaye continuait et allait jusqu’au bout. 450 volts !
et très important: on leur avait indiqué avant de commencer l’expérience qu’au delà de 350 volts, la décharge était dangereuse, voire mortelle!
pour simple rappel, notre cher courant alternatif dans notre maison est du 220 volts, et est responsable de nombreux décès chaque année. une chaise électrique, distribue une décharge mortelle de 500 volts. les premières chaises électriques fonctionnaient sur du 300 volts (le condamné ne mourrait pas de immédiatement, mais qu’à cela ne tienne, il suffisait simplement de lui envoyer plusieurs décharges de suite v.v ). un vrai physicien vous dira que c’est l’ampérage qui compte, mais quand même…
dans le jeu factice de France 2, ce sont 81% des candidats-cobayes qui ont administré la décharge maximale (460 volts!) au joueur-acteur. sans rien à gagner au bout, puisqu’ils savaient pertinemment participer à un test pour la mise au point du jeu! qu’est-ce que ça aurait été s’il y avait eu véritablement 1 millions d’€ à gagner au bout?!!!
certains (dont un d’une particulière mauvaise foi) ont même tenté, après coup, de se dédouaner en disant qu’ils ne croyaient pas réellement infliger des décharges, qu’ils "savaient" que c’était faux. sauf qu’ils n’en avaient aucune preuve. et que dans le doute, il vallait mieux arrêter.

19 pauvres % se sont arrêtés avant la fin, dont la moitié environ a tout de même distribué une décharge de 360 volts.
19 pauvres % qui, tôt ou tard, on réussi à se rebeller contre l’autorité, comprenant qu’ils étaient en train d’agir contre leur volonté, et de torturer une personne qu’ils avaient rencontré 10mn auparavant.
ça fait peur.
impossible, me direz-vous! vous ne seriez pas allé au bout! vous avez une conscience morale (ou pas) !
détrompez-vous. environ 80% d’entre vous auraient fait la même chose. c’est humain. ça s’appelle l’obéissance, le rejet des responsabilités, la soumission à l’autorité.
cette simple expérience, que ce soit en 1960 ou aujourd’hui, met en lumière comment autant d’atrocités ont pu se produire au cours des siècles, et notamment pendant la "solution finale" instaurée par les nazis.
*entracte!*
Godwin Awards
and the winner is:
HOCKENBERRY!
merci, merci! ^^
*fin de l’entracte!*
et le panel de cobayes sélectionnés pour l’expérience ne fait de cadeaux à personne: peu importe la couleur de peau ou l’origine sociale, tout le monde est influençable. et même les descendants victimes des camps de concentration! (*ah, j’ai déjà eu mon point Godwin, je laisse le deuxième à quelqu’un d’autre!*). il n’y a qu’à lire les témoignages extraits de l’émission dont celui que j’ai extrait ici:
"A mon tour, j’ai obéi"
SOPHIE, 46 ans, hôtesse navigante (extrait de L’Expérience extrême)
"Mesgrands-parents ont porté l’étoile jaune dès 1941. Depuis que je suistoute petite, je me suis toujours demandé pourquoi ils l’avaient fait.Pourquoi ils avaient obéi à cet ordre? Puis pourquoi ils se sont laisséprendre. Pourquoi ils sont montés dans les wagons et ont disparu dansla Shoah… Et voilà qu’à mon tour, j’ai obéi. Bien que je me pose cesquestions depuis si longtemps, j’ai aussi obéi. Vous voyez? J’ail’impression de comprendre un peu mieux…"
beaucoup de ces participants, que ce soit ceux qui se sont arrêtés où ceux qui sont allés au bout, ont été plus ou moins traumatisés par cette expérience. je pense encore à cette fille toute tremblante après avoir refusé de continuer après avoir infliger 360 volts au "joueur", et qui a fondu en larmes lorsque l’acteur est venu la voir pour lui expliquer que tout allait bien.
la conclusion de ceux qui ont organisé ce jeu de la mort est que la télévision a acquit un pouvoir d’autorité extrêmement puissant, et que la plupart de ses consommateurs sont prêts à lui obéir et à avaler ce qu’elle leur sert, car elle est la garante de leur bien être.
pour moi, il ne s’agit pas que de la télé. les gens, en règle générale, ne savent pas dire "NON!". ils obéissent, même quand ce qu’on leur demande, à partir du moment où cela vient d’une autorité quelle qu’elle soit, va à l’encontre de la morale et de leur morale. ils se déchargent. "je ne suis pas responsable. on me demande de faire, je fais."
c’est ça qui fait peur.
quand j’entends dire les gens que pendant la guerre ils auraient été résistants, je demande à voir… combien auraient eu la force de s’opposer à la puissance ennemie?
combien, à l’instar du symbole de la résistance étudiante à Tien An Men (dont les archives ont été ressorties et montrées en exemple par le réalisateur du documentaire) qui se plaça devant les chars de l’armée et grimpa même sur l’un d’eux avant d’être emportés par la police (on ne sut jamais ce que cet homme subit par la suite, mais on en a une petite idée), combien auraient eu un tel courage? sachant pertinemment ce qu’il allait lui arriver par la suite? combien sont capables de s’opposer à l’autorité, pour sauver une cause juste, quitte parfois à se mettre eux-mêmes en danger?

très peu.
si peu.
moins de 20% …
c’est si révélateur!
pour ceux qui doutent encore, on pourrait rapprocher cette expérience avec celle de Stanford, qui sélectionna 18 sujets pour leur stabilité et leur maturité, et leur attribua aléatoirement des rôles de prisonniers ou de gardiens de prison, avec des règles strictes à suivre. au bout de 2 jours seulement, une émeute des prisonniers éclata, et les gardiens multiplièrent les mauvais traitements (souvent humiliants) malgré les ordres clairs qui leurs avaient été donnés au début de l’expérience. de nombreux cobayes souffrirent d’un sévère dérangement émotionnel suite aux traitements qui leur avaient été infligés.
un excellent film a d’ailleurs été tiré de cette expérience: "l’expérience" .

sur le même principe, un professeur d’histoire dans un lycée américain tenta d’expliquer à ses élèves comment un gouvernement totalitaire pouvait se mettre en place et arriver au pouvoir, en proposant une "mise en situation". celle-ci dépassa l’effet attendu et pris une ampleur qui le dépassa. cette histoire inspira un roman et un film, intitulés "la vague".

ne vous y trompez pas.
d’ailleurs, je regrette que l’émission se soit arrêtée à la simple analyse du participant, et n’aie pas fait celle du public, qui lui aussi était dupe, croyant réellement assister à un jeu. un public qui applaudissait et encourageait le participant. on ne voit que quelques personnes dans ce public qui ont véritablement l’air de souffrir avec les cris de l’acteur, mais personne ne disait rien et la grande majorité suivait le tout comme si tout était normal (ou presque).
effarant et choquant.
du pain et des jeux.
les jeux du cirque.
deux gladiateurs.
et des spectateurs, le pouce tourné vers le bas.
à mort!